portrait
Avant-propos
Le 2 août 1914, l’ordre de mobilisation est affiché dans toutes les mairies de France. Dans chaque commune, le garde-champêtre, au son de son tambour annonce gravement la terrible nouvelle.
Deux jours plus tard, dès réception de leur feuille de route, près de quatre millions d’hommes vont abandonner les travaux en cours, leur famille et leur village pour cinquante-deux mois d’une guerre atroce. Ils étaient paysans, enseignants, médecins, ouvriers ou ingénieurs, aucune corporation ne fut absente de ce conflit. Le milieu artistique paya lui aussi un lourd tribut à la nation ; musiciens et compositeurs ne furent pas épargnés.
Quelques-uns périront dans les premières semaines en défendant simplement leur bien, tel Albéric Magnard qui fut tué le 3 septembre 1914 en tentant de repousser une attaque allemande contre son manoir de Baron (Oise).
Certains sont déjà dans l’armée lorsque le conflit éclate, Fernand Halphen est de ceux-là. Il effectue régulièrement des périodes dans l’armée de réserve et se trouve affecté au 13ème territorial d’infanterie, un régiment de soutien peu exposé au feu. Il contracte toutefois une maladie au front et décèdera le 16 mai 1917. Reynaldo Hahn qui, à 39 ans, effectue volontairement son service militaire, en reconnaissance de la nationalité française qui vient de lui être conférée, sera mobilisé dans son régiment au 31ème de ligne. Guillaume Balay, chef de musique de la Garde républicaine entreprendra des concerts à caractère patriotique afin de sensibiliser la population de l’arrière. Jean Cras, officier de marine, mettra à profit ses permissions pour écrire et corriger ses oeuvres.
D’autres ne sont plus mobilisables, à l’image de Camille Saint-Saëns, qui s’engage intellectuellement
à défaut de pouvoir le faire physiquement, comme en 1870. Louis Ganne exaltera, lui aussi depuis son clavier, le courage de ceux qui montent au front. Claude Debussy, surnommé Claude de France prête son concours à des concerts de solidarité, mais ne verra pas l’armistice. Albert Roussel, après une courte carrière d’officier de marine, endossera à 44 ans l’uniforme d’ambulancier. D’autres encore, réformés reprennent du service. Jacques Ibert, de santé fragile s’engage en 1914 comme brancardier-infirmier avant d’être à nouveau réformé en 1916. Il se rengage immédiatement dans la marine et sera promu officier en 1917. D’autres quittent définitivement l’uniforme tel Maurice Ravel qui au volant de son ambulance Adélaïde a transporté de nombreux blessés avant d’être gravement accidenté. André Caplet et Reynaldo Hahn eurent un comportement héroïque durant ce conflit, l’un aux Éparges (1914-1915), l’autre au Chemin des Dames (1917). Deux organistes trouvèrent une fin tragique, René Vierne le 29 mai 1918 lors d’une offensive dans la Marne, et Joseph Boulnois succomba à ses blessures à l’hôpital militaire de Chalaines le 20 octobre 1918.
Cette période de l’histoire inspira quelques compositeurs qui écrivirent dans un style martial ou, du moins, s’y essayèrent : que l’on en juge à l’écoute de la marche militaire de Florent Schmitt qui n’a de militaire que l’intention d’écriture et sa dédicace au 163ème régiment d’infanterie. Vers la victoire de Camille Saint Saëns laisse transparaître quelques motifs arabisants chers à l’auteur de la Suite algérienne. Malgré un titre bien français,
Fernand Halphen n’a t-il pas versé dans Les poilus quelques accents klezmer rappelant sa culture juive ?
Reynaldo Hahn n’aurait-il pas composé Les jeunes lauriers comme un clin d’oeil à Franz Schubert, subtil amalgame entre Marches militaires et Moments musicaux ?
Guillaume Balay anticipe la délivrance de l’Alsace et de la Lorraine, invitant les voix d’airain des cloches de Metz et Strasbourg à entonner l’hymne La victoire en chantant. Louis Ganne ne peut s’empêcher de
citer La marseillaise en toute fin d’une chanson de route franco-américaine. Fernand Halphen écrit à Brény, sur la ligne de front, pour le 25 décembre 1914 un Noël pour flûte et orgue d’une insouciance qui ferait oublier la proximité des combats. René Vierne qui n’a pas eu, semble-t-il, le loisir d’écrire durant la guerre est ici évoqué à travers une mélodie de Noël datée de 1913. Le choral de Jacques Ibert inspire le recueillement et la prière, et l’apothéose finale laisse entrevoir une issue rapide et victorieuse au conflit.
Pierre-Étienne Sagnol compose, 88 ans après les évènements du 1er juillet 1916, une fresque musicale
décrivant avec minutie et passion les forces alliées en présence dans les plaines de la Somme.
Le département musical a tenu à présenter de manière non-exhaustive la production des compositeurs de l’époque à destination des formations musicales militaires et de l’orgue, deux entités particulièrement présentes dans la programmation musicale du Musée de l’Armée. Ce disque rappelle que l’élite musicale de l’époque eut à coeur de défendre la patrie en se rangeant sous le drapeau national, et certains même, jusqu’au sacrifice suprême. Comme si cette implication physique dans le conflit ne suffisait pas il a encore fallu que ces musiciens et compositeurs mettent leurs talents au service de la patrie. Cet apport artistique s’orienta vers trois axes : soutenir l’effort de guerre, les compositeurs de l’arrière s’en chargèrent ; distraire les troupes et la population ce que firent les musiciens sur le terrain ; mais encore commémorer, ce qui fut fait par ceux qui survécur nt, et ce qui perdurera tant que nous nous dirons :
« Plus jamais ça ! »
Benoît Saulin, Assistant au Département musical du Musée de l’Armée